" Peut-on affirmer l'existence d'un Bien universel ?"

 

CONFERENCE DEBAT 

présentée par Monsieur Francis Wolff

 

 le vendredi 19 janvier 2024  18h30  à la salle Esprit Gare

de Maraussan 

Présentation du conférencier. 

 
 
 

Le sujet :

"Peut-on affirmer l'existence d'un Bien commun universel?"

 

Compte rendu de la conférence par Monsieur Daniel Mercier.

 

PEUT-ON AFFIRMER L’EXISTENCE D’UN BIEN UNIVERSEL ?

A-t-on vraiment besoin d’une éthique ? Nous avons le sentiment de pouvoir vivre sans elle. Nos conduites répondent surtout à des habitudes qui sont dictées par notre environnement, et des valeurs sur lesquelles nous ne nous interrogeons plus guère…  Mais il arrive parfois qu’un doute survienne par rapport à une action ou une attitude : Est-ce que je fais bien ? Nous sommes pris dans des dilemmes ; est-ce que ce qu’on fait au quotidien est compatible avec une lutte efficace contre le réchauffement climatique ? Nous voulons les meilleures écoles pour nos enfants, mais nous sommes aussi pour la mixité sociale etc. Nous sommes souvent pris dans des dilemmes moraux entre nos idéaux et nos intérêts. Autre exemple : Fanny Ardant justifie son soutien à Depardieu aujourd’hui par l’amitié qu’elle lui porte : L’amitié est-elle le bien lui-même ? Peut-elle rivaliser avec la justice ? Le philosophe s’intéresse, lui, au Bien.

La morale et l’éthique, est-ce la même chose ? Etymologiquement, oui : éthique vient du grec « ethos », qui signifie les moeurs. Morale vient du latin « morales » qui signifie également les mœurs.  La différence (que je fais moi) est la suivante : j’appelle morale l’ensemble des normes et prescriptions admises, variables selon les contextes culturels ; Et éthique, la tentative purement conceptuelle pour s’interroger sur le Bien en général. La quête d’un bien possiblement universel est en jeu…

Les religions, avec leurs textes sacrés, sont et surtout ont été les principales sources de valeurs. Elles nous disent ce qu’il faut croire mais aussi ce qu’il faut faire (orthopraxie). Elles fixent les lois de nos conduites. Mais le problème, c’est que ces textes sacrés ne disent pas la même chose (loin s’en faut !) sur la conduite ou le mode de vie à tenir. Les conflits, les guerres sont d’autant plus féroces que chacun pense avoir le Ciel pour lui. Le bien est ce qui est écrit disent-elles… mais le philosophe veut savoir quel bien il y a au-delà de ces croyances variables.

La Déclaration des Droits de l’Homme : « Tous les hommes naissent et demeurent égaux en droit ». Il s’agit d’une déclaration : cela signifie qu’elle institue une morale performative, c’est-à-dire une déclaration qui doit devenir réalité (la réalité présente étant sans commune mesure avec cette exigence…). Mais quel fondement ? Il faut bien croire qu’il y a un fondement si nous voulons y croire vraiment. Au cours du XVIIIème siècle, la Nature est venue progressivement s’instituer là où jadis régnait la parole suprême du Dieu révélé. Comme une sorte de Dieu anonyme, d’Etre suprême. Mais par nature, il n’en est rien de cette égalité : les hommes ne sont pas égaux. Ces idées de Dieu ou de la Nature comme fondement ont du plomb dans l’aile aujourd’hui : il y a tous ceux qui sont sortis de la religion (en particulier dans le monde occidental). Et ceux qui y sont restés (encore très nombreux) croient plutôt dans la particularité de leur croyance. Une éthique du Bien ne peut plus s’appuyer sur Dieu ou sur la Nature…

Une autre conception émerge également au XVIIIème siècle : certains pensent qu’il y a un sens moral inné, une conscience morale commune, qui se traduit par exemple par la même compassion par rapport à la souffrance d’autrui. Une forme de sympathie universelle, comme si un petit ange était là au-dessus de nos têtes pour nous dire ce qui est bien. Tout le monde aurait au moins la même idée du Bien (ce qui ne veut pas dire agir toujours en direction du Bien). Mais les sentiments moraux ne peuvent pas fonder la morale (ou l’éthique) : la pitié ne se déclenche qu’au spectacle de la souffrance. On s’émeut beaucoup plus facilement devant un oisillon tombé de son nid que face à une épidémie du choléra qui fait des millions de victimes… La morale n’est donc pas qu’une question de sentiment.

Avec Kant, c’est la raison humaine qui s’institue comme fondement. Ce qui est rationnel est universel. La science est bien un processus de cette nature : une expérience scientifique  est universalisable, et donc reproductible par des procédures standard. De la même façon nous savons toujours ce que nous devons faire, ce que nous faisons devant être admis universellement. Agir de telle façon que la norme de notre action puisse devenir l’objet d’une loi universelle (par exemple, on ne doit pas mentir, car si tout le monde mentait tout le temps, la vie en société serait impossible). Mais la question qui se pose est la suivante : la raison a-t-elle toujours montré le bien ? Après les désastres de la seconde guerre mondiale, on se rend compte que la raison n’a rien empêchée… ET même qu’elle a permis la rationalité industrielle des camps de la mort. La raison peut donc accoucher du mal… La Raison est au service de la cause pour laquelle on l’utilise. Autrement dit, elle est purement instrumentale, comme une machine. Disons lui le but à atteindre, elle fait le reste. Quel que soit la nature du but poursuivi, le savoir-faire est toujours le même, c’est de la pure technique (l’auteur de ce résumé se permet ici de citer une phrase de Paul Nizan dans « Les chiens de garde », « L’intelligence est une douce femelle qui s’accouple avec n’importe qui »). La raison est donc impuissante à déterminer le bien.

Livrons-nous maintenant à une expérience de pensée : imaginons des êtres humains dotés de raison, mais privée de toute identité particulière (sinon d’être humain ; autrement dit, ils sont ignorants de leur naissance, de leur sexe, de leur talent, de leur caractère, de leur race….etc.). On leur dit qu’ils vont devoir vivre ensemble et de décider selon quels principes, quelles règles… mais ils ne connaissent rien de leur avenir. On peut imaginer que selon cette rationalité calculatrice précédemment décrite, chacun cherchera à maximiser ses propres intérêts, selon la règle du coût/bénéfice, de façon purement égoÏste. Mais la raison n’est pas seulement une raison monologique, une machine à calculer, mais une raison dialogique. Ce qui nous distingue des animaux n’est pas exactement le langage (on peut en effet parler de « langages animaux »). Ce qui nous distingue des machines n’est pas exactement la raison. Nous avons une raison qui s’exprime dans le langage, le dialogue imaginaire ou réel et l’échange avec autrui, le raisonnement (même seul, c’est bien de dialogue avec moi-même dont il s’agit). Il s’agit d’une faculté sociale de dialogue avec autrui. Nous sommes avant tout des animaux sociaux doués de langage. C’est ce qui nous permet de discuter et d’être en accord ou en désaccord avec autrui. « L’attention conjointe », souvent décrite en psychologie, de nourrissons tournés vers le même objet annoncerait, en tant que structure pré-linguistique, ce fameux triangle du langage que nous venons d’évoquer.

Revenons à notre expérience de pensée : cette fois-ci, l’ancienne raison monologique est remplacée par la raison dialogique, et nous demandons à nos discutants quel est le bien ? Dans quelle communauté ils veulent vivre ? Ils vont discuter des principes (n’oublions pas que chacun ignore son caractère, sa situation relative). Chacun voudra alors s’assurer qu’il ne sera pas agressé par les autres, et ils se mettent donc d’accord sur un principe de non agression mutuelle. Mais ils vont ajouter un principe cette fois-ci positif : afin d’être assistés en cas de difficulté structurelle (fragilité, vulnérabilité) ou passagère (maladie, blessure, dépendance) ils vont s’engager collectivement à aider les autres, dans la mesure du possible, à condition que tout le monde en fasse autant. C’est le principe de réciprocité et d’égalité qui regroupe ces décisions. Ils se déclarent égaux à priori car c’est le seul moyen de vivre en paix. Bien sûr dans la réalité, les choses ne se passent pas comme cela car l’être de raison dialogique de l’expérience de pensée est une abstraction, et les être réels de chair et de sang ne sont pas que cela. Mais cet idéal de réciprocité correspond à une réelle aspiration des êtres humains au sens où il réunit à la fois le bien pour soi-même et le bien en soi-même. Nul appel ici aux vertus de quiconque, la règle de réciprocité concerne autant les égoïstes et les altruistes. Il n’y a pas de distinction à faire ici entre être intéressé et être désintéressé.

Nous avons besoin d’éthique car nous ne pouvons pas nous contenter du seul régime des moeurs en vigueur. Et nous avons besoin de fonder l’éthique. La raison (dialogique) est ce qui nous permet de partager le même monde au-delà des identités. Au-delà de cultures ou de peuples particuliers, des êtres humains s’élèvent quel que soit le lieu pour défendre les mêmes valeurs universelles…