"Le mal, un défi pour la philosophie."
CONFERENCE DEBAT
présentée par le philosophe Mickaël Foessel
le vendredi 24 janvier 2025 à 18h30 à la Scène de Bayssan
Présentation du : conférencier.
Le sujet
"Le mal, un défi pour la philosophie."
Résumé de la conférence par Monsieur Daniel Mercier.
Le mal : un défi pour la philosophie
Quelques lignes de présentation (Daniel Mercier)
« Pour introduire cette question du mal, j’ai envie de commencer par dire l’effroi et la sidération que nous éprouvons et qui prévalent devant les guerres, le terrorisme, les crimes de toute sorte, mais aussi les souffrances, les maladies, les solitudes que nous percevons tous les jours, devant lesquels la raison semble impuissante : on peut toujours essayer d’expliquer, de trouver des raisons, mais cela n’empêchent nullement le scandale et l’injustice attachés à tout cela…En particulier, l’injustice scandaleuse des méchants impunis, ou encore celle de la souffrance des innocents. Mais aussi le scandale pour la raison de celui qui voit le bien et qui fait malgré tout le mal… A partir de là une foule de questions apparaissent, qui balisent en quelque sorte les enjeux philosophiques : Pourquoi le mal existe ? Mais peut-être pour commencer, qu’est-ce que le mal ? Comment s’y retrouver, trouver une forme d’unité, entre le mal d’origine naturelle (comme par exemple les maux causés par un cyclone), et le mal commis par les humains ? Entre le mal commis et le mal subi ? Ne doit-on pas réserver le terme de « mal » à l’humanité, puisqu’il ne semble pouvoir loger qu’au sein des subjectivités humaines (souffrir du mal ou vouloir faire du mal) ?
En un mot, comment la philosophie peut-elle penser le mal ? »
INTERVENTION DE MICHAEL FOESSEL
Pour Socrate, il vaut mieux subir une injustice que de la commettre. Il est plus grave de détruire l’ordre ou l’harmonie du monde –la justice – que d’être victime. Le mal, en introduisant du désordre, est un scandale pour la raison.
Chez Saint Paul, nous voulons le bien mais c’est difficile de l’accomplir. Je ne comprends pas ce que je fais. Je veux le bien et je fais le mal… Je ne veux pas le mal et je le fais… Celui qui est pécheur subit une forme d’impuissance à faire le bien. Le mal est donc assimilé à une impuissance. Si nous étions vraiment libres, nous ferions le bien.
La dimension tragique du mal s’impose au XXème siècle avec le génocide, atteignant là un point d’hyperbole. Se développe une sensibilité plus grande au mal par rapport à ce que l’humainpeut faire à l’humain. Nous prenons aussi la mesure de notre puissance technique dans l’accomplissement du mal…
Face au mal, trois réactions possibles : 1) Le mal n’est rien. Les hommes confondent le mal et le mauvais (pour moi). Spinoza mais aussi Nietzsche : « Par-delà le bien et le mal ». Ce qui arrive répond à une nécessité, et le mauvais est seulement ce qui ne me convient pas (du point de vue de mon bien être). Il faut arrêter d’envisager toute chose avec la volonté de juger. C’est une position radicale qui ne tient pas compte de l’expérience et même s’y oppose : il existe bien quelque chose de l’ordre du mal, et nous ne pouvons éluder sa dimension tragique. 2) le mal existe mais il a un sens, une certaine rationalité. Là encore, il relève d’une certaine nécessité et/ou finalité. Leibnitz (XVIIéme siècle) et Hegel (XIXème siècle) sont dans cette perspective. La thèse défendue est la suivante : la mal existe mais il est toujours un moindre mal ; Le mal est toujours condition d’autre chose, il est donc nécessaire. 3) le mal est un scandale. Il faut le combattre, et renoncer à la justifier d’une quelconque manière (cette troisième option sera celle de MF…)
Peut-on trouver une certaine « unité » entre les différentes sortes de mal ? Celui-ci implique tout d’abord un jugement. Quand je dis « j’ai mal ! », je dis en substance : « je ne devrais pas avoir mal ». La douleur ne suffit pas pour définir le mal. Il se définit par la non-conformité d’une chose à ce qu’elle devait être. Par exemple le mal physique (dans la maladie) suppose ce type d’inadéquation. La santé, c’est « le silence des organes »… Maison ne peut pas non plus confondre toute souffrance avec le mal moral ; celui-ci implique un jugement moral sur un autre qui a commis l’action provoquant cette rupture (dans l’ordre du monde) ; cet autre est jugé plus ou moins libre (de faire ou de ne pas faire), et donc responsable. On agit contre ce qu’on devait faire (faute). Nous sommes renvoyés à la troisième figure (cf. au-dessus) du mal, celle de l’injustice : à un mal subi ne correspond aucun mal commis. Et inversement à un mal commis ne correspond aucun mal subi. Ce sont les figures de l’innocent souffrant et du criminel impuni. Il ne faut pas confondre le mal comme négation (de quelque chose) et le mal comme privation. Par exemple l’aveugle n’est pas seulement sans la vue (comme sans ailes pour voler), mais il est privé de la vue : il devrait voir et il est privé de cette vue, ce qui introduit un désordre dans le monde. Il est légitimement en droit de s’en plaindre…
Revenons à la thèse où le mal n’est pas un scandale. La philosophie s’est longtemps faite l’avocat de Dieu pour répondre à la question suivante : comment un Dieu bon et tout puissant peut créer un monde mauvais, ou en tout cas un monde où le mal existe. C’est ce qu’on appelle une théodicée. Spinoza abandonne le troisième terme de cette phrase ; pour lui le mal n’existe réellement pas. On ne peut pas toucher Dieu car s’il est mauvais, c’est la connaissance même qui se soustrait à nous. Les thèses manichéennes ou nihilistes reposent sur une telle affirmation. Toute tentative pour donner du sens échoue alors, car l’origine du monde est contre nous. Leibnitz refuse lui le Dieu tout puissant : qu’il y ait du mal dans le monde, c’est pour lui logique, car on ne peut créer un monde sans créer du mal. Si Dieu avait créé un monde parfait il aurait créé un Dieu… On ne peut que créer de l’imparfait. Dieu n’y est pour rien, et la seule chose qu’on puisse lui reprocher c’est d’avoir créé un monde. L’expression « Le meilleur des mondes possibles » doit être comprise ainsi (et non comme le dit Voltaire dans son Candide). Mais notre monde connaît le mal, et pas seulement l’imperfection pourrait-on objecter. Leibnitz répond avec l’image du tableau : nous avons les yeux rivés sur les détails du tableau (une tâche, par exemple) au lieu de voir son harmonie d’ensemble. Le tableau comme Tout est beau et harmonieux. Et même la tâche est nécessaire pour faire ressortir le beau. Ainsi la souffrance est nécessaire à l’harmonie du tout… Tout mal est donc un moindre mal, puisqu’il est nécessaire au salut de tous.
Le XIXème et le XXème (les grandes idéologies) ont justifié ce genre de raisonnement. Au nom du bien, on peut faire du mal. Chez Hegel notamment tout mal est un moindre mal. L’histoire est certes violente, mais c’est ce qui la fait avancer. La raison ne peut pas s’éterniser auprès des blessures des individus. Napoléon ainsi mis ses passions au service de la raison (ce que l’on appelle « les ruses de la raison », qui ne présuppose pas que l’individu qui en est l’artisan en ait conscience) ; il est la condition pour que le Code civil s’impose… Chez Marx également, la violence est l’accoucheuse de l’Histoire. Aujourd’hui, on est loin des théodicées… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles n’ont pas conduit au bien ! Cependant, n’est-ce pas une idée qui continue d’irriguer nos opinions ? Les lois du marché comme moindre mal par exemple… Et Trump, n’est-il pas un moindre mal ? Dans cette perspective, le mal peut être gênant mais il n’est pas un scandale.
Comment parvenir à penser autrement pour combattre le mal ? En associant le mal à la liberté. Kant écrit contre la théodicée, et s’appuie sur la figure biblique du juste souffrant. MF nous livre le récit de Job tel qu’il est restitué par Kant.Le mal existe et nous n’avons pas à adopter le point de vue de la Totalité qui permet de justifier toutes les souffrances. Le débat sur le tremblement de Terre de Lisbonne en 1755, qui a concerné toute l’Europe des Lumières, est significatif à ce sujet : alors que Voltaire souligne les dures lois d’un mal naturel, indifférent aussi bien à la volontédivine qu’aux attentes humaines, JJ Rousseau insiste au contraire sur la responsabilité humaine : si les hommes n’avaient pas construits des bidonvilles sur le Tage, la tragédie aurait été beaucoup moins grande. Le mal n’est pas que nature, nos libertés humaines jouent un rôle inévitable. Mais le mal ne vient pas toujours non plus de la liberté. La liberté, comme le disait Hannah Arendt, est cette puissance humaine à introduire du nouveau dans le monde, pour le meilleur et pour le pire.
La tentation d’expliquer le mal (sans reste) a donc donné lieu à de nombreux excès. Les grandes figures du mal échappent à l’explication. Il y a en lui quelque chose d’insondable. D’où vient le mal ? Dans le mythe d’Adam, l’origine du mal est finalement indéterminée (le serpent ? La pomme ? Eve ? Adam ?) ; le mal est toujours de la liberté et en même temps du destin. Il y a quelque chosede l’ordre d’une précédence du mal inscrite dans la condition humaine ; mais en même temps, l’individu est responsable de son action, et il faut poser le mal comme un scandale et le combattre